L’impact de la 5ème directive européenne contre le blanchiment d’argent sur les trusts, les comptes bancaires et les biens immobiliers

Introduction

Alors que la 4ème directive européenne de lutte contre le blanchiment d’argent vient tout juste d’être transposée par les États membres, le Parlement européen a déjà voté une nouvelle mouture le 19 avril dernier (modification de la directive (UE) 2015/849).

Suite aux attaques terroristes de Paris et de Bruxelles ainsi qu’aux scandales des Panama et des Paradise Papers, l’Union européenne a décidé de mettre à jour sa législation anti blanchiment d’argent afin d’accroître la transparence, notamment fiscale, et de réagir aux derniers développements technologiques (crypto monnaie, etc.). Et tant pis pour le respect de la vie privée et au droit à la protection des données. De toute façon, tout ce qui n’est pas transparent est forcément perçu comme criminel aujourd’hui.

CROCE & Associés SA vous résume brièvement les principaux changements à venir :

1) Extension du champ d’application personnel de la directive

Seront désormais assujettis à la directive, outre les auditeurs, les experts-comptables externes et les conseillers fiscaux, toute personne qui fournit une aide matérielle, une assistance ou des conseils en matière fiscale comme activité économique ou professionnelle principale.

Seront également soumis les agents immobiliers, y compris lorsqu’ils agissent en qualité d’intermédiaires pour la location de biens immobiliers, mais uniquement en ce qui concerne les transactions pour lesquelles le loyer mensuel est d’un montant égal ou supérieur à EUR 10’000.

Enfin, la directive s’appliquera aux prestataires de services d’échange entre monnaies virtuelles et monnaies légales ainsi qu’aux entreposeurs, négociants et intermédiaires actifs dans le commerce de l’art (galeries d’art, maison de vente aux enchères, ports francs, etc.).

2) Registre central des sociétés et des trusts

Outre les organismes officiels habituels (les autorités chargées de la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, les autorités fiscales, les autorités de surveillance des entités assujetties, les autorités pénales, etc.), les particuliers auront un accès public au registre des ayants-droit économiques des sociétés opérant dans l’Union européenne.

S’agissant des fiducies/trusts ou des constructions similaires, le registre sera accessible à condition de justifier un intérêt légitime. Chaque État membre définira dans son droit interne ce qu’il entend par cette notion, étant précisé que le droit applicable sera celui du pays dans lequel est établi ou réside le fiduciaire/trustee. La directive précise d’ores et déjà qu’elle entend accorder la qualité de « personnes disposant d’un intérêt légitime » aux journalistes d’investigations et aux ONG (par exemple Public Eye, etc).

En effet, selon le texte adopté :

« L’accès du public aux informations sur les bénéficiaires effectifs permet un contrôle accru des informations par la société civile, notamment la presse ou les organisations de la société civile, et contribue à préserver la confiance dans l’intégrité des transactions commerciales et du système financier.

Il peut contribuer à lutter contre le recours abusif à des sociétés et autres entités juridiques et constructions juridiques aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme, à la fois en facilitant les enquêtes et par le biais de considérations de réputation, dans la mesure où quiconque susceptible de conclure des transactions connaît l’identité des bénéficiaires effectifs.

Il facilite également la mise à disposition efficace et en temps utile d’informations pour les institutions financières et les autorités, notamment les autorités des pays tiers, impliquées dans la lutte contre ces infractions. L’accès à ces informations serait également utile aux enquêtes sur le blanchiment de capitaux, sur les infractions sous-jacentes associées et sur le financement du terrorisme. »

Au niveau du registre, devront être identifiés, les constituants (settlors), les trustees/fiduciaires, les protectors, les bénéficiaires (ou la catégorie de bénéficiaires) ainsi que toute autre personne physique exerçant un contrôle en dernier ressort sur la structure.

Le public, respectivement les personnes ayant un intérêt légitime devront au moins avoir accès au nom, au mois et à l’année de naissance, au pays de résidence et à la nationalité du bénéficiaire effectif, ainsi qu’à la nature et à l’étendue des intérêts effectifs détenus par le bénéficiaire. Les États membres pourront prévoir un accès plus large dans leur législation interne.

Il est précisé que quand bien même le fiduciaire/trustee ne serait pas établi ou ne résiderait pas dans un État membre, l’inscription au registre central sera obligatoire auprès de l’État membre dans lequel le fiduciaire/trustee aura noué une relation d’affaires ou acquis un bien immobilier au nom de la fiducie/du trust ou de la construction juridique similaire.

Les données sur les bénéficiaires effectifs seront accessibles pendant 5 ans après la liquidation de la structure/société.

Enfin, les informations seront partagées et interconnectées entre les États membres grâce à la plate-forme centrale européenne instituée par la directive (UE) 2017/1132.

Afin de mitiger les risques de fraude, de chantage et d’extorsion de la part de tiers malintentionnés, la directive prévoit d’exiger une inscription en ligne afin de pouvoir connaître l’identité de la personne demandant des informations consignées dans les registres ainsi que le paiement d’une redevance.

L'UE adopte sa nouvelle directive en matière de blanchiment d'argent.

3) Registre central des comptes bancaires et des biens immobiliers

La directive prévoit également la mise en place de registres centraux de recherche de données, permettant l’identification, en temps utile, de toute personne physique ou morale détenant ou contrôlant des comptes de paiements et des comptes bancaires identifiés par un numéro IBAN ainsi que des coffres forts tenus par un établissement de crédit établi sur leur territoire.

De même, un registre central permettra l’identification de toute personne physique ou morale détenant des biens immobiliers sur le territoire de l’Union.

4) Autres modifications législatives en matière de blanchiment d’argent

Parmi les autres modifications législatives, on peut citer :

–        Le seuil fixé pour identifier les détenteurs de cartes prépayées anonymes a été revu à la baisse, passant de 250€ à 150€.

–        Les nouvelles règles imposeront aux plateformes de change de monnaies virtuelles (telles que le bitcoin) et aux fournisseurs de portefeuilles de stockage de vérifier l’identité de leurs clients.

–        Des critères plus sévères pour évaluer si les pays hors Union Européenne présentent un risque accru de blanchiment d’argent et un examen plus approfondi des transactions impliquant des ressortissants de pays à risque (y compris la possibilité de sanctions).

–        La protection des « dénonciateurs » signalant un blanchiment d’argent (y compris le droit à l’anonymat).

5) Prochaines étapes

La texte va maintenant être soumis pour approbation au Conseil de l’Union européenne. La directive révisée entrera ensuite en vigueur 3 jours après sa publication dans le Journal officiel (JO). Les Etats membres auront enfin 18 mois pour introduire la nouvelle législation dans leur droit interne respectif. Très concrètement, cela signifie que le délai de transposition sera vraisemblablement échu fin 2019 et partant que le registre des sociétés devra être opérationnel à cette date, celui des trusts début 2020 (dans les 20 mois dès l’entrée en vigueur de la directive modificative), celui des comptes bancaires et des coffres-forts mi-2020 (dans les 26 mois) et enfin l’interconnexion des divers registres (trusts et sociétés) entre les Etats membres devra être effective début 2021 (dans les 32 mois).

Seule question qui reste en suspens est de savoir quelle sera la position du Royaume-Uni dans ce dossier puisque le Brexit est censé intervenir en mars 2019 mais que l’Union européenne exige, en contrepartie du maintien du marché unique, la reprise du droit européen par ce pays pendant la période transitoire qui s’achèvera probablement vers le milieu de 2021.

Conclusion

Le mise en place de registres publics contenant des informations financières sur des individus ou accessibles à des tiers justifiant d’un hypothétique intérêt légitime est une grave restriction aux droits fondamentaux de l’être humain et notamment à son droit au respect de la vie privée. De plus, dans un monde où le sensationnel est roi et où l’on n’hésite pas à divulguer des fake news pour se distinguer ou atteindre ses buts, force est de relever qu’il sera impossible de vérifier la conformité de l’usage des informations ainsi collectées, notamment auprès des journalistes ou des ONG.

Au nom de la lutte contre le terrorisme c’est toute la vie intime des individus qui sera exposée au grand public. Or, personne ne semble se s’inquiéter de cette dérive, sans doute parce que l’Union européenne se garde bien de communiquer sur le sujet mais aussi parce que peu se sentent en l’état réellement concernés. Tel sera sans doute un peu moins le cas lorsque les autorités ou les particuliers (employeurs, etc.) sauront que Monsieur X consulte un psychiatre (par le paiement de ses factures), offre des cadeaux à ses maitresses (par des virements) ou encore se voit refuser un prêt parce qu’il est à découvert sur ses autres comptes.

Aussi, ces mesures empêchent-elles vraiment les terroristes de frapper leurs cibles ? Quand on voit par exemple comment la France gère son système des fiches « S », on peut légitimement douter de l’efficacité de ces nouvelles normes. En revanche, le fisc lui s’en frotte les mains…

Fort heureusement, la Suisse, qui n’est pas membre de l’Union européenne, n’est pas touchée par cette démesure et une pesée des intérêts est toujours faite entre le respect de la sphère privée et l’intérêt public de l’État à surveiller chacun d’entre nous.

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Nouvelles mesures pour lutter contre l’immigration de masse et le chômage en Suisse

Introduction

Afin de mettre en œuvre l’initiative contre l’immigration de masse acceptée par le peuple et les cantons le 9 février 2014 (article 121a de la Constitution (Cst.)) et de lutter contre le chômage, le Parlement suisse a adopté fin 2016 la révision de la Loi fédérale sur les étrangers (LEtr).

L’un des éléments centraux de la modification législative est l’obligation pour les employeurs d’annoncer les postes vacants lorsque le taux de chômage dépasse une valeur seuil dans les professions concernées (selon le code à 5 chiffres de la nomenclature suisse des professions 2000).

Cette mesure est destinée à épuiser le potentiel qu’offre la main d’œuvre en Suisse et de lutter contre l’immigration de masse en provenance de l’Union européenne notamment.

Concrètement, les postes vacants devront être annoncés par les employeurs au service public de l’emploi compétent de leur région s’agissant des catégories professionnelles affichant un taux de chômage au niveau suisse d’au moins 5%. A noter qu’un seuil transitoire de 8% sera appliqué jusqu’au 31 décembre 2019. Il s’agit ici de permettre aux employeurs et aux organes d’exécution d’adapter leurs processus et leurs ressources aux nouvelles règles.

Le Conseil fédéral a adopté les modifications des ordonnances d’application lors de sa séance du 8 décembre 2017. Les nouvelles dispositions entreront en vigueur le 1er juillet 2018.

Lutte contre le chômage en Suisse

Les chiffres du chômage

Le calcul des taux de chômage s’effectuera sur la base des statistiques du SECO et correspondra au nombre de chômeurs inscrits auprès des offices régionaux de placement.

Le chômage moyen en 2016, toutes professions et tous cantons confondus, s’élevait à 3,6% selon la statistique du marché du travail.

En tenant compte d’un taux de chômage de 8% et sur la base des chiffres de 2016, l’obligation de communiquer les postes vacants concernera surtout le secteur de la construction et de l’hôtellerie. Avec un seuil de 5% en revanche, un total de 88 genres de professions sur les 383 répertoriés sera concerné et comprendra en plus notamment les employés du commerce de détail, les chauffeurs, le personnel de maison, le secteur de la restauration et du nettoyage.

Selon le Conseil fédéral, environ 218’000 postes vacants sur les quelque 700’000 pourvus chaque année seront soumis à l’obligation d’annonce pour un seuil de chômage de 5%. Le nombre tombera à 75’000 pour une barre de 8%.

Obligations des employeurs et procédure

Les employeurs seront tenus de communiquer notamment :

–        la profession recherchée ;

–        l’activité et les exigences spéciales requises ;

–        le lieu de l’exercice de la profession ;

–        le taux d’occupation ;

–        la date d’entrée en fonction ;

–        le type de rapport de travail : à durée déterminée ou indéterminée.

La communication de l’emploi vacant se fera via la plateforme Internet du service public de l’emploi, par téléphone ou en personne.

Les informations relatives aux postes vacants annoncés seront accessibles de manière exclusive pendant cinq jours ouvrés aux demandeurs d’emploi inscrits auprès du service public de l’emploi. L’employeur ne pourra pas publier d’autres annonces (par exemple dans les journaux) avant l’échéance de ce délai.

Le délai commencera à courir à partir du jour ouvrable suivant la réception de la confirmation du service public de l’emploi. Ne sont pas considérés comme jours ouvrables les samedis et dimanches ainsi que les jours fériés nationaux, cantonaux et régionaux.

Dans les trois jours ouvrables à compter de la réception de l’annonce complète d’un emploi vacant, le service public de l’emploi transmettra à l’employeur concerné les dossiers pertinents ou l’informera qu’une telle personne n’est pas disponible.

Les employeurs définiront eux-mêmes, sans directive ni devoir de justification, quels sont les candidats qu’ils considèrent appropriés. De même, ils seront libres d’organiser leur recrutement comme ils l’entendent.

Toutefois, les employeurs devront inviter les candidats appropriés à un entretien d’embauche ou à un examen d’aptitude. S’ils ne le font pas, ils seront tenus d’en motiver la raison auprès du service public de l’emploi.

Le législateur a refusé tout devoir de justification des employeurs en cas de non prise en compte de candidats appropriés, proposés par les autorités. De même, ils n’auront pas à justifier pourquoi tel ou tel candidat n’est pas engagé.

En revanche, une obligation d’annonce leur incombe : ils devront communiquer 1) la liste des personnes qu’ils considèrent comme étant appropriées, 2) qui ils ont invité à passer un entretien d’embauche ou un test d’aptitude professionnelle, 3) s’ils ont embauché un candidat ayant été proposé ou 4) si le poste reste vacant.

Aucune procédure d’annonce ne sera nécessaire si la durée des rapports de travail ne dépasse pas 14 jours civils. Il en ira de même s’agissant de l’engagement d’anciens apprentis, de membres d’une même famille ou encore les postes pourvus par des personnes (y compris les stagiaires) déjà employées par le même employeur au sein d’un groupe.

A noter encore que les cantons pourront eux-mêmes demander au Conseil fédéral, d’introduire une obligation d’annonce pendant une durée maximum d’un an, des emplois vacants pour une profession donnée si le taux de chômage dans le territoire cantonal concerné atteint ou dépasse les 8% (respectivement 5% dès le 1er janvier 2020). Cette requête pourra également être déposée conjointement par plusieurs cantons, lorsque les conditions requises pour ce faire sont remplies dans leurs territoires respectifs.

Sanctions

Les employeurs qui intentionnellement violeront l’obligation de communiquer les postes vacants ou l’obligation de mener un entretien ou un test d’aptitude professionnelle seront punis d’une amende de 40’000 francs au plus. En cas de négligence, l’amende sera de 20’000 francs au plus.

Conclusion

Tenant compte de la volonté populaire et des intérêts économiques de la Suisse, le Parlement et le Conseil fédéral ont pris les mesures nécessaires en vue d’encourager le potentiel des travailleurs en Suisse et de renforcer l’exécution de la législation sur les étrangers. L’idée de contraindre les employeurs à une obligation d’annonce des postes vacants afin de diminuer l’afflux de main-d’œuvre étrangère supplémentaire est à saluer dans la mesure où les accords internationaux, notamment l’ALCP, sont respectés. Il est toutefois impossible de prédire à ce stade si les effets seront à la hauteur des attentes puisqu’une telle mesure est inédite en Suisse.

Aussi, l’introduction d’un délai transitoire est bienvenue. En effet, cette nouvelle obligation d’annonce contraint les entreprises, surtout les PME, à s’organiser et à former du personnel spécialisé, voire de mettre en place une unité juridique. Indubitablement, les coûts administratifs des entreprises vont augmenter.

Enfin, on relèvera que le Conseil fédéral pourra fixer une nouvelle valeur seuil à tout moment si la situation sur le marché du travail l’exige.

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BEPS et échange des déclarations pays par pays : les multinationales dans le collimateur du fisc

Ce sont les multinationales comme les GAFA qui sont visées par le projet BEPS.

Le projet BEPS

L’Organisation de coopération et de développement économiques (ci-après « l’OCDE ») et les États membres du G20 ont conjointement mis en place en février 2013 un nouveau projet fiscal intitulé « Base Erosion and Profit Shifting » (BEPS).

Ce projet fait suite à plusieurs scandales (par exemple Luxleaks) notamment concernant les sociétés Amazon ou Starbucks et vise d’une part à contrer l’optimisation fiscale dite « agressive » des multinationales et d’autre part à lutter contre le transfert de bénéfices et l’érosion de la base imposable. En clair, on veut empêcher que des groupes d’entreprises internationaux, profitant des disparités législatives entre les États, ne transfèrent les bénéfices qu’ils réalisent dans des pays où ils possèdent d’importants marchés vers d’autres juridictions disposant d’une imposition avantageuse ou nulle, engendrant ainsi des économies substantielles d’impôts. L’idée centrale est d’imposer les bénéfices au lieu où les activités qui les ont générés ont été réalisées.

L’OCDE a mené ce projet en un temps record de deux ans aboutissant en octobre 2015 à l’adoption de quinze actions et de treize rapports.

La Suisse en tant qu’État membre de l’OCDE doit maintenant mettre en place dans sa législation interne les mesures décidées par l’Organisation. En effet, les États participant doivent tous opérer des changements au niveau de leur droit et de leur pratique afin de créer des règles uniformes (level playing field) et d’empêcher la concurrence fiscale dommageable. A noter que certaines de ces mesures sont considérées comme des normes minimales et sont obligatoires pour les États alors que d’autres ne sont que des recommandations.

Notre pays a déjà concrétisé certaines d’entre elles comme par exemple l’échange spontané de renseignements dès 2018 sur les rulings fiscaux, suite à l’entrée en vigueur au 1er janvier 2017 de la Convention du Conseil de l’Europe et de l’OCDE concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale.

D’autres mesures sont en passe d’être adoptées comme la procédure amiable en matière de règlement des différends et l’introduction de clauses anti abus dans les conventions contre les doubles impositions (CDI). En effet, la Suisse a signé en juin 2017 la Convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices. Sur la base de cette convention, la Suisse pourra adapter rapidement les CDI qu’elle a conclues afin que ces dernières soient conformes aux standards minimaux convenus dans le cadre du projet BEPS. La procédure d’approbation par le Parlement doit toutefois encore être menée. La Convention sera mise en consultation par le Conseil fédéral d’ici la fin de l’année.

Enfin, d’autres mesures sont encore en discussions comme l’abandon des régimes préférentiels pour certains types de sociétés ou l’imposition des patent et IP boxes (projet « PF17 »).

L’échange automatique entre autorités fiscales des déclarations pays par pays fait également partie des mesures du projet BEPS et sera discuté ci-après.

Les déclarations pays par pays, une mesure du projet BEPS

De quoi s’agit-il ?

L’échange automatique des déclarations pays par pays vise à rendre plus transparente l’imposition des entreprises multinationales. Il constitue l’un des standards internationaux minimaux du projet BEPS.

Concrètement, il est prévu d’échanger entre les administrations fiscales des pays, des informations relatives à la répartition mondiale des chiffres d’affaires et des impôts acquittés d’un groupe d’entreprises multinationales qui réalise des résultats annuels importants. On cherche à atteindre les grosses sociétés actives au niveau mondial comme Microsoft, Google, Amazon ou encore Apple.

Le Parlement a ainsi adopté le 16 juin 2017 la Loi fédérale sur l’échange international automatique des déclarations pays par pays des groupes d’entreprises multinationales (Loi sur l’échange des déclarations pays par pays, LEDPP) ainsi que l’accord multilatéral entre autorités compétentes portant sur l’échange des déclarations pays par pays (accord EDPP), signé par la Suisse le 27 janvier 2016 et qui regroupe plus de 60 pays.

Lors de sa séance du 29 septembre 2017, le Conseil fédéral a de son côté adopté l’Ordonnance sur l’échange international automatique des déclarations pays par pays des groupes d’entreprises multinationales (OEDPP).

Qui est concerné ?

Sont obligés d’établir une déclaration pays par pays, les groupes d’entreprises multinationales dont la société mère est résidente en Suisse (c’est-à-dire assujettie à l’impôt selon les articles 50 de la Loi fédérale du 14 décembre 1990 sur l’impôt fédéral direct (LIFD) et 20 alinéa 1 de la Loi fédérale du 14 décembre 1990 sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes (LHID)) et qui réalisent, durant la période fiscale précédant celle déclarable, un chiffre d’affaires annuel consolidé dépassant les CHF 900 millions.

Selon les chiffres des autorités, environ 200 multinationales devraient être concernées dans notre pays.

A noter que l’expression « groupe » désigne un ensemble d’entreprises qui sont soumises au contrôle d’une personne morale tenue d’établir des comptes consolidés au sens des articles 963 alinéa 1 à 3 du Code des obligations suisse (CO).

Qui est responsable de faire la déclaration ?

Il appartient en principe à la société mère de communiquer toutes les informations nécessaires à l’Administration fédérale des contributions (AFC). Il y a toutefois la possibilité de désigner une société mère de substitution, y compris à l’étranger à certaines conditions. L’administration fiscale se chargera ensuite de transmettre les données récoltées à ses homologues étrangers dans les pays avec lesquels la Suisse a un accord et où se trouvent des entités constitutives du groupe. A noter que la loi prévoit également la transmission des informations aux administrations fiscales cantonales en cas d’entités multiples situées dans différents cantons en Suisse.

A l’inverse, l’AFC transmettra aux cantons chargés du prélèvement des impôts directs, les déclarations pays par pays qu’elle a reçues des États partenaires.

On relèvera que l’AFC peut également prescrire à toute entité constitutive d’un groupe se trouvant en Suisse, de lui fournir une déclaration pays par pays si la société mère ne se trouve pas dans une juridiction partenaire ou si cette dernière présente une défaillance systémique.

Quels sont les délais ?

L’obligation de s’annoncer auprès de l’AFC doit être remplie au plus tard 90 jours après la fin de la période fiscale déclarable.

La déclaration elle-même est annuelle et doit être soumise dans les 12 mois dès la fin de l’année fiscale. En cas de défaillance, l’amende s’élève à CHF 200 pour chaque jour de retard jusqu’à concurrence de CHF 50’000 au maximum.

Contenu de la déclaration ?

Les déclarations pays par pays contiendront des informations relatives :

–        à la répartition mondiale des chiffres d’affaires (totaux, en relation avec des entreprises associées et non associées) ;

–        aux bénéfices et aux pertes avant impôts ;

–        aux impôts acquittés et dus pendant l’année en cours ;

–        au capital social ;

–        aux bénéfices non distribués ;

–        au nombre d’employés ;

–        aux actifs corporels détenus ;

–        à la répartition des activités au sein du groupe (R&D, détention et gestion des droits de la propriété intellectuelle, services administratifs, production, distribution et vente, etc.).

La déclaration sera faite en anglais ou dans l’une des langues officielles de la Confédération en francs suisses ou dans la monnaie principale du groupe.

Confidentialité ?

Les données sont uniquement destinées aux autorités fiscales et ne sont pas publiées. Il va sans dire que ces informations sont extrêmement sensibles du point de vue de l’espionnage industriel.

Entrée en vigueur ?

Au vu de l’absence de référendum, le Conseil fédéral a décidé de fixer l’entrée en vigueur de la LEDPP et de l’OEDPP au 1er décembre 2017. L’Accord EDPP sera quant à lui en force dans le courant du mois de décembre.

Les entreprises multinationales basées en Suisse devront ainsi établir une première déclaration pays par pays à partir de l’année fiscale 2018. La Suisse et ses États partenaires échangeront les déclarations en 2020.

Les groupes peuvent soumettre à l’AFC des déclarations pays par pays pour les périodes fiscales 2016 et 2017 sur une base volontaire.

Pays avec lesquels la Suisse va échanger ?

La Suisse a publié le 18 octobre dernier la liste des États partenaires avec lesquels elle échangera les déclarations pays par pays. Elle accordera l’assistance avec tous les pays qui, au moment de la notification au Secrétariat de l’Organe de coordination en décembre 2017, auront signé l’Accord EDPP ou seront membres du cadre inclusif sur le projet BEPS.

A l’heure actuelle, la liste compte 102 pays dont la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie, les États-Unis, le Canada, Singapour, l’Irlande, le Luxembourg, les BVI, Hong Kong, Maurice, la Nouvelle-Zélande, le Brésil, l’Inde et le Panama.

A noter que la Suisse n’accordera l’échange d’informations que sur une base réciproque.

Les États de l’OCDE et du G20 détermineront fin 2020 au plus tard s’il convient de modifier le contenu de la déclaration pays par pays en vue d’exiger la communication de données supplémentaires ou différentes.

Selon le Conseil fédéral, l’évaluation des données des déclarations pays par pays pourrait conduire à une augmentation ou une diminution des recettes fiscales en Suisse, en fonction des ajustements fiscaux dans les États partenaires ainsi que dans notre pays.

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