Vers une suppression des actions au porteur en Suisse

Le Conseil fédéral vient d’ouvrir ce mercredi et jusqu’au 24 avril 2018 une consultation visant à supprimer les actions au porteur des sociétés anonymes suisses non cotées en bourse. Si un tel projet devait entrer en vigueur (il sera discuté à l’automne 2018 au Parlement), les actions au porteur existantes seraient de par la loi converties en actions nominatives. Les sociétés seraient tenues d’adapter leurs statuts au plus tard deux ans après l’entrée en vigueur du nouveau droit.

Les sociétés tiendront également une liste des ayants droit économiques des actions des sociétés (nom, prénom et adresse). Toute violation d’annonce de la part de l’actionnaire ou de la tenue du registre par la société fera l’objet de sanctions pénales (nouveau). Un actionnaire, un créancier ou le préposé au registre du commerce pourra également saisir le juge afin de faire réparer cette carence dans l’organisation de la société.

La suppression des actions au porteur, si elle est acceptée, serait une petite révolution en Suisse. Notre pays rejoindrait ainsi d’autres places financières comme le Royaume-Uni, Singapour, Hong Kong ou encore les États-Unis. Mais il ne faut pas s’y tromper, ce changement n’est pas issu d’une volonté interne de la Suisse mais de la pression internationale exercée par le Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements à des fins fiscales qui voit manifestement l’être humain comme un criminel avéré. La Suisse veut adapter son droit afin d’obtenir une bonne note (et par là d’éviter des sanctions) lors du prochain examen par les Pairs qui débutera au deuxième semestre 2018.

D’un point de vue juridique, il est vrai que les nouvelles dispositions introduites le 1er juillet 2015 par la loi GAFI ont conduit à un fort rapprochement des actions au porteur et des actions nominatives, si bien que les caractéristiques essentielles de ces deux types de papier-valeurs sont, du point de vue de l’anonymat et du transfert quasi identiques. L’abolition formelle des actions au porteur prévue dans le projet ne changera donc pas fondamentalement les droits et les obligations des actionnaires.

En effet, d’après le droit en vigueur toute personne qui acquiert des actions au porteur à l’obligation d’annoncer cette acquisition à la société concernée dans un délai d’un mois. Elle doit lui communiquer son nom et prénom (en cas de personne physique), ou sa raison sociale (en cas de personne morale), ainsi que son adresse.

L’identité de l’ayant droit économique des actions doit également être annoncée si la participation atteint le seuil de 25 % du capital-actions ou des droits de vote à la suite de l’acquisition.

L’acquéreur doit s’identifier au moyen d’une pièce de légitimation officielle comportant une photographie (passeport, carte d’identité ou permis de conduire) ou d’un extrait du registre du commerce. Une pièce établissant l’acquisition du titre est également demandée.

En cas d’omission et tant que ces obligations ne sont pas remplies, l’actionnaire ne peut exercer ni les droits sociaux (par exemple le droit de vote) ni ceux patrimoniaux (versement des dividendes) liés à ces actions.

Selon le nouveau projet, les détenteurs d’actions au porteur qui ne se seraient pas identifiés auprès de la société conformément à ce qui a été mentionné ci-dessus devront réparer cette omission dans un délai de 18 mois à compter de l’entrée en vigueur de la loi afin que la conversion des actions soit effectuée. Faute d’annonce à l’expiration de ce délai, ils perdront définitivement leurs droits sur les actions au porteur et celles-ci seront annulées. Le conseil d’administration émettra alors des actions propres de la société pour les remplacer. Elles seront libérées au moyen des apports acquis à la société à la suite de l’annulation. La société pourra ensuite librement disposer des actions de remplacement (vente, distribution aux actionnaires, annulation et réduction du capital-actions, conservation, etc.).

Le projet prévoit en outre que les sociétés anonymes (mais également les entreprises individuelles, les sociétés de personnes, les autres personnes morales et les succursales) auront l’obligation de disposer d’un compte bancaire en Suisse si elles atteignent un chiffre d’affaires d’au moins 100’000 francs au cours du dernier exercice. L’idée est ici de contraindre les sociétés à tomber sous le coup de la législation suisse contre le blanchiment d’argent, les banquiers ayant des obligations de vérification de l’identité du cocontractant et de l’ayant droit économique.

En outre, en sus des autorités, les intermédiaires financiers pourront consulter les registres des sociétés (registre des actionnaires et des ayants droit économiques) afin de remplir leurs obligations légales. L’idée de créer un registre central électronique des propriétaires d’actions nominatives est en l’état rejetée.

Enfin, les fondés de procuration chargés de représenter les succursales suisses de sociétés ayant leur siège principal à l’étranger devront avoir accès aux renseignements relatifs aux actionnaires du siège principal à l’étranger ainsi que des ayants droit économiques, et devront pouvoir transmettre ces renseignements aux autorités et intermédiaires financiers. Cette obligation n’est toutefois qu’une simple prescription d’ordre et aucune sanction n’est prévue, mais l’impossibilité de fournir de telles informations devrait sans doute conduire les intermédiaires financiers à refuser la relation d’affaires.

Comme relevé ci-dessus, cette modification législative ne devrait donc pas apporter de grands changements en Suisse sur le plan du droit des sociétés. L’impact est plus psychologique, le droit de la société anonyme datant de 1936 ! Aussi, on peut regretter ce diktat continuel imposé par des organismes supranationaux. D’ailleurs, on se demande si toutes ces mesures sont vraiment efficaces. Le véritable criminel n’aura aucun scrupule à fabriquer un faux document et donner un prête-nom pour la propriété de ses actions. Ce n’est certainement pas la menace d’une amende qui va l’en dissuader.

En tous les cas la société « anonyme » n’a jamais aussi mal porté son nom !

Nouvelles obligations déclaratives sur les valeurs mobilières dès 2018

La Loi fédérale sur l’infrastructure des marchés financiers (RS 958.1, LIMF), entrée en vigueur début 2016, obligera dès janvier 2018 les participants (négociants en valeurs mobilières, participants étrangers autorisés par la FINMA, etc.) admis sur une plate-forme de négociation, à communiquer toutes les informations nécessaires à la transparence de la négociation des valeurs mobilières.

A noter que des obligations similaires existent déjà ou seront complétées (selon les types de contrepartie) pour les dérivés OTC et ET. Ce thème ne sera pas abordé ici.

Les plates-formes de négociation (concrètement les bourses (SIX Swiss Exchange, la BX Berne eXchange) et les systèmes multilatéraux de négociation) devront pouvoir surveiller de manière étendue la formation des cours et les transactions effectuées en leur sein afin de pouvoir détecter l’exploitation d’informations d’initiés, les manipulations de cours et de marché et toute autre violation de dispositions légales ou réglementaires. En cas de soupçon d’infraction, la FINMA et éventuellement les autorités de poursuites pénales seront informées.

Les négociants en valeurs mobilières non-admis à une plate-forme de négociation seront également soumis aux mêmes règles de transparence et de communication (article 15 alinéa 2 de la Loi fédérale sur les bourses (LBVM ; RS 954.1)).

L’obligation de déclarer s’appliquera à toutes les transactions d’un participant (achat, vente, etc.), effectuées pour son propre compte ou pour le compte d’un client, portant sur des valeurs mobilières.

Devront notamment être déclarés :

    • la désignation et le nombre de valeurs mobilières achetées ou vendues ;
    • le volume, la date et l’heure de la conclusion de l’opération ;
    • le cours ;
    • les informations nécessaires permettant d’identifier l’ayant droit économique (nouveau !).

La notion d’ayant droit économique sera la même que celle utilisée dans le cadre de la lutte contre le blanchiment d’argent.

Toutefois, les personnes morales exerçant une activité opérationnelle, les fondations et les placements collectifs de capitaux seront identifiés au moyen de leur « Legal Entity Identifier » (LEI), qui est normalisé sur le plan international. En l’absence de LEI, il sera possible de déclarer le BIC (business identifier code) ou le numéro du registre du commerce précédé du code pays. Dans le cas de trusts, il conviendra de déclarer le trustee.

Pour les personnes physiques, l’identification se fera par la déclaration de la nationalité (selon un code pays), la date de naissance ainsi qu’un chiffrement confidentiel interne du participant. Ainsi, le nom et le prénom de la personne concernée ne seront pas communiqués.

La Bourse de Zürich, le lieu de négoce des valeurs mobilières en Suisse

On relèvera toutefois qu’il n’en ira pas de même s’agissant des opérations effectuées sur le marché européen (y compris pour les résidents suisses). En effet, MiFID II/MiFIR impose que les cinq premières lettres du prénom et du nom soient communiquées aux autorités (code CONCAT). Toutefois, une déclaration de chiffres tels que le numéro de passeport, le numéro personnel ou encore le numéro de sécurité sociale est possible et a été adoptée par de nombreux pays de l’UE qui ne connaissent pas le code CONCAT.