Les avocats seront-ils eux aussi bientôt soumis à la LBA ?

Le 1er juin dernier, le Conseil fédéral a ouvert une nouvelle procédure de consultation visant à modifier une énième fois la Loi fédérale sur le blanchiment d’argent (LBA). Dernière cible des autorités, « les conseillers », soit les avocats, les notaires, les fiduciaires, ou encore les comptables fournissant certaines prestations en lien notamment avec la création, la gestion ou l’administration de sociétés et de trusts. Selon l’avant-projet, ces personnes seraient dorénavant également soumises à la LBA au même titre que les intermédiaires financiers et les négociants et devraient impérativement respecter des obligations de diligence inscrites dans la LBA.

Concrètement, sont visées les activités préparatoires et effectives fournies à titre professionnel suivantes :

– La création, l’administration et la gestion de personnes morales et de constructions juridiques ;

– L’organisation des apports en lien avec ces activités ;

– L’achat et la vente de sociétés ;

– La mise à disposition d’une adresse ou de locaux destinés à abriter le siège des structures visées ;

– L’exercice de la fonction d’actionnaire à titre fiduciaire pour ces entités (« nominee shareholder ») ou l’assistance à exercer cette fonction.

Pour rappel, à l’heure actuelle, ces activités sont soumises à la LBA uniquement lorsque des valeurs patrimoniales appartenant à des tiers sont acceptées ou gardées en dépôt ou si une aide est fournie pour les placer ou les transférer. Il en va de même en cas d’activité d’organe d’une société de domicile. En revanche, le simple conseil ne générant pas de flux financiers n’est pas soumis à la LBA. L’avant-projet, reprenant les recommandations du GAFI sur ce point instaure ainsi une véritable nouveauté en droit suisse, notamment pour les avocats qui ne connaissent jusqu’à aujourd’hui qu’une distinction entre activité traditionnelle (conseil, représentation en justice, etc.) et non-traditionnelle (trustee, gestionnaire de patrimoine, etc.).

L’établissement d’un concept de structure tombera également dans le champ d’application de la LBA.

Les avocats auront peut-être des obligations de diligence en matière de LBA.

Sont ainsi concernés les trusts ainsi que toutes les sociétés offshores (opérationnelles ou non) et les sociétés de domicile suisses (pour rappel à la différence des société commerciales ces dernières ont généralement pour unique but la détention et l’administration de valeurs patrimoniales). Les sociétés opérationnelles suisses seront exclues, le Conseil fédéral ayant estimé que seules les sociétés étrangères présentaient des risques du fait de l’existence de garde-fous dans l’établissement d’une personne morale en Suisse (compte consignation, constitution devant un notaire, rapport de fondation, etc.).

Les obligations de diligence prévues pour « les conseillers » seront globalement les mêmes que celles incombant actuellement aux négociants. Elles incluront les obligations de vérifier l’identité du cocontractant, d’identifier l’ayant droit économique, d’établir et de conserver des documents ainsi que de clarifier l’arrière-plan et le but de la prestation à fournir. Les avocats devront ainsi prendre des mesures organisationnelles appropriées.

En revanche, en cas de soupçons de blanchiment d’argent ou de financement du terrorisme ou si les avocats ne seront pas en mesure de remplir leurs obligations de diligence, ils devront uniquement refuser la relation d’affaires ou y mettre fin. En particulier, les avocats n’auront pas d’obligation d’informer le Bureau de communication en matière de blanchiment d’argent (MROS). Cette exonération s’explique par le fait que les activités en question ne génèrent pas de flux financiers (l’un des objectifs de l’obligation de communiquer est justement de poursuivre et de confisquer les valeurs patrimoniales d’origine criminelle) et qu’il convient de ne pas ébranler la relation de confiance entre les avocats et leurs clients (le secret professionnel).

L’efficacité du système sera selon le Conseil fédéral assurée par le contrôle d’une entreprise de révision (l’idée de soumettre les conseillers à un organisme d’auto-régulation comme c’est le cas pour les intermédiaires financiers n’a pas été retenue). Celle-ci devra dénoncer au Département fédéral des finances (DFF) les avocats qu’il soupçonne d’avoir enfreint les obligations de diligence qui leur incombent. Le conseiller encourra alors une amende de CHF 500’000 au plus en cas de comportement intentionnel et de CHF 150’000 s’il agit par négligence.

A noter encore que le Conseil fédéral a renoncé à instaurer des obligations de diligences pour les prestations de conseil concernant l’achat ou la vente de biens immobiliers, jugeant le système actuel satisfaisant (intervention des banques, du notaire, etc.).

Au-delà des problèmes posés par le risque d’une perte confiance entre les avocats et leurs clients et des questions d’éthique (est-ce finalement plus moral qu’un avocat élabore une stratégie de défense pour son client inculpé de blanchiment d’argent afin de lui éviter la prison et de lui permettre de continuer ses agissements en tout impunité ?), ce nouveau projet soulève des difficultés d’ordre pratique.

En effet, dans la mesure où l’avocat intervient au début du processus de constitution de l’entité ou du trust, voire même au stade de la simple réflexion, comment pourra-t-il raisonnablement déterminer par avance si la structure mise en place servira in fine comme instrument de blanchiment d’argent ou de financement du terrorisme ? On voit déjà la phrase assassine du procureur qui 10 ans plus tard viendra dire à l’avocat, « vous auriez dû savoir que votre client avait des intentions peu recommandables avec sa nouvelle société ! ».

A ne pas en douter, le risque d’une sanction pénale va refroidir plus d’un avocat à fournir des conseils juridiques dans ce domaine, mais c’est sans doute clairement là l’objectif du GAFI. En tous les cas, les conseillers qui se risqueront dans ce business chercheront par tous les moyens d’obtenir des garanties de la part de leurs clients en leur demandant de signer des certifications et des disclaimers.

La procédure de consultation prendra fin le 21 septembre prochain mais on peut déjà parier sur des débats animés au Parlement.

L’impact de la 5ème directive européenne contre le blanchiment d’argent sur les trusts, les comptes bancaires et les biens immobiliers

Introduction

Alors que la 4ème directive européenne de lutte contre le blanchiment d’argent vient tout juste d’être transposée par les États membres, le Parlement européen a déjà voté une nouvelle mouture le 19 avril dernier (modification de la directive (UE) 2015/849).

Suite aux attaques terroristes de Paris et de Bruxelles ainsi qu’aux scandales des Panama et des Paradise Papers, l’Union européenne a décidé de mettre à jour sa législation anti blanchiment d’argent afin d’accroître la transparence, notamment fiscale, et de réagir aux derniers développements technologiques (crypto monnaie, etc.). Et tant pis pour le respect de la vie privée et au droit à la protection des données. De toute façon, tout ce qui n’est pas transparent est forcément perçu comme criminel aujourd’hui.

CROCE & Associés SA vous résume brièvement les principaux changements à venir :

1) Extension du champ d’application personnel de la directive

Seront désormais assujettis à la directive, outre les auditeurs, les experts-comptables externes et les conseillers fiscaux, toute personne qui fournit une aide matérielle, une assistance ou des conseils en matière fiscale comme activité économique ou professionnelle principale.

Seront également soumis les agents immobiliers, y compris lorsqu’ils agissent en qualité d’intermédiaires pour la location de biens immobiliers, mais uniquement en ce qui concerne les transactions pour lesquelles le loyer mensuel est d’un montant égal ou supérieur à EUR 10’000.

Enfin, la directive s’appliquera aux prestataires de services d’échange entre monnaies virtuelles et monnaies légales ainsi qu’aux entreposeurs, négociants et intermédiaires actifs dans le commerce de l’art (galeries d’art, maison de vente aux enchères, ports francs, etc.).

2) Registre central des sociétés et des trusts

Outre les organismes officiels habituels (les autorités chargées de la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, les autorités fiscales, les autorités de surveillance des entités assujetties, les autorités pénales, etc.), les particuliers auront un accès public au registre des ayants-droit économiques des sociétés opérant dans l’Union européenne.

S’agissant des fiducies/trusts ou des constructions similaires, le registre sera accessible à condition de justifier un intérêt légitime. Chaque État membre définira dans son droit interne ce qu’il entend par cette notion, étant précisé que le droit applicable sera celui du pays dans lequel est établi ou réside le fiduciaire/trustee. La directive précise d’ores et déjà qu’elle entend accorder la qualité de « personnes disposant d’un intérêt légitime » aux journalistes d’investigations et aux ONG (par exemple Public Eye, etc).

En effet, selon le texte adopté :

« L’accès du public aux informations sur les bénéficiaires effectifs permet un contrôle accru des informations par la société civile, notamment la presse ou les organisations de la société civile, et contribue à préserver la confiance dans l’intégrité des transactions commerciales et du système financier.

Il peut contribuer à lutter contre le recours abusif à des sociétés et autres entités juridiques et constructions juridiques aux fins du blanchiment de capitaux ou du financement du terrorisme, à la fois en facilitant les enquêtes et par le biais de considérations de réputation, dans la mesure où quiconque susceptible de conclure des transactions connaît l’identité des bénéficiaires effectifs.

Il facilite également la mise à disposition efficace et en temps utile d’informations pour les institutions financières et les autorités, notamment les autorités des pays tiers, impliquées dans la lutte contre ces infractions. L’accès à ces informations serait également utile aux enquêtes sur le blanchiment de capitaux, sur les infractions sous-jacentes associées et sur le financement du terrorisme. »

Au niveau du registre, devront être identifiés, les constituants (settlors), les trustees/fiduciaires, les protectors, les bénéficiaires (ou la catégorie de bénéficiaires) ainsi que toute autre personne physique exerçant un contrôle en dernier ressort sur la structure.

Le public, respectivement les personnes ayant un intérêt légitime devront au moins avoir accès au nom, au mois et à l’année de naissance, au pays de résidence et à la nationalité du bénéficiaire effectif, ainsi qu’à la nature et à l’étendue des intérêts effectifs détenus par le bénéficiaire. Les États membres pourront prévoir un accès plus large dans leur législation interne.

Il est précisé que quand bien même le fiduciaire/trustee ne serait pas établi ou ne résiderait pas dans un État membre, l’inscription au registre central sera obligatoire auprès de l’État membre dans lequel le fiduciaire/trustee aura noué une relation d’affaires ou acquis un bien immobilier au nom de la fiducie/du trust ou de la construction juridique similaire.

Les données sur les bénéficiaires effectifs seront accessibles pendant 5 ans après la liquidation de la structure/société.

Enfin, les informations seront partagées et interconnectées entre les États membres grâce à la plate-forme centrale européenne instituée par la directive (UE) 2017/1132.

Afin de mitiger les risques de fraude, de chantage et d’extorsion de la part de tiers malintentionnés, la directive prévoit d’exiger une inscription en ligne afin de pouvoir connaître l’identité de la personne demandant des informations consignées dans les registres ainsi que le paiement d’une redevance.

L'UE adopte sa nouvelle directive en matière de blanchiment d'argent.

3) Registre central des comptes bancaires et des biens immobiliers

La directive prévoit également la mise en place de registres centraux de recherche de données, permettant l’identification, en temps utile, de toute personne physique ou morale détenant ou contrôlant des comptes de paiements et des comptes bancaires identifiés par un numéro IBAN ainsi que des coffres forts tenus par un établissement de crédit établi sur leur territoire.

De même, un registre central permettra l’identification de toute personne physique ou morale détenant des biens immobiliers sur le territoire de l’Union.

4) Autres modifications législatives en matière de blanchiment d’argent

Parmi les autres modifications législatives, on peut citer :

–        Le seuil fixé pour identifier les détenteurs de cartes prépayées anonymes a été revu à la baisse, passant de 250€ à 150€.

–        Les nouvelles règles imposeront aux plateformes de change de monnaies virtuelles (telles que le bitcoin) et aux fournisseurs de portefeuilles de stockage de vérifier l’identité de leurs clients.

–        Des critères plus sévères pour évaluer si les pays hors Union Européenne présentent un risque accru de blanchiment d’argent et un examen plus approfondi des transactions impliquant des ressortissants de pays à risque (y compris la possibilité de sanctions).

–        La protection des « dénonciateurs » signalant un blanchiment d’argent (y compris le droit à l’anonymat).

5) Prochaines étapes

La texte va maintenant être soumis pour approbation au Conseil de l’Union européenne. La directive révisée entrera ensuite en vigueur 3 jours après sa publication dans le Journal officiel (JO). Les Etats membres auront enfin 18 mois pour introduire la nouvelle législation dans leur droit interne respectif. Très concrètement, cela signifie que le délai de transposition sera vraisemblablement échu fin 2019 et partant que le registre des sociétés devra être opérationnel à cette date, celui des trusts début 2020 (dans les 20 mois dès l’entrée en vigueur de la directive modificative), celui des comptes bancaires et des coffres-forts mi-2020 (dans les 26 mois) et enfin l’interconnexion des divers registres (trusts et sociétés) entre les Etats membres devra être effective début 2021 (dans les 32 mois).

Seule question qui reste en suspens est de savoir quelle sera la position du Royaume-Uni dans ce dossier puisque le Brexit est censé intervenir en mars 2019 mais que l’Union européenne exige, en contrepartie du maintien du marché unique, la reprise du droit européen par ce pays pendant la période transitoire qui s’achèvera probablement vers le milieu de 2021.

Conclusion

Le mise en place de registres publics contenant des informations financières sur des individus ou accessibles à des tiers justifiant d’un hypothétique intérêt légitime est une grave restriction aux droits fondamentaux de l’être humain et notamment à son droit au respect de la vie privée. De plus, dans un monde où le sensationnel est roi et où l’on n’hésite pas à divulguer des fake news pour se distinguer ou atteindre ses buts, force est de relever qu’il sera impossible de vérifier la conformité de l’usage des informations ainsi collectées, notamment auprès des journalistes ou des ONG.

Au nom de la lutte contre le terrorisme c’est toute la vie intime des individus qui sera exposée au grand public. Or, personne ne semble se s’inquiéter de cette dérive, sans doute parce que l’Union européenne se garde bien de communiquer sur le sujet mais aussi parce que peu se sentent en l’état réellement concernés. Tel sera sans doute un peu moins le cas lorsque les autorités ou les particuliers (employeurs, etc.) sauront que Monsieur X consulte un psychiatre (par le paiement de ses factures), offre des cadeaux à ses maitresses (par des virements) ou encore se voit refuser un prêt parce qu’il est à découvert sur ses autres comptes.

Aussi, ces mesures empêchent-elles vraiment les terroristes de frapper leurs cibles ? Quand on voit par exemple comment la France gère son système des fiches « S », on peut légitimement douter de l’efficacité de ces nouvelles normes. En revanche, le fisc lui s’en frotte les mains…

Fort heureusement, la Suisse, qui n’est pas membre de l’Union européenne, n’est pas touchée par cette démesure et une pesée des intérêts est toujours faite entre le respect de la sphère privée et l’intérêt public de l’État à surveiller chacun d’entre nous.

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